Marguerite YOURCENAR. L’Œuvre au Noir. Paris, NRF, 1968. In-8° de 340, [2] pp. Demi-Rexine noire à la Bradel, pièce de titre et pièce fleuronnée en maroquin rouge, jaquette en couleurs et couverture conservées.
3ème tirage paru quelques mois après l’édition originale.
L’Œuvre au noir relate la vie de Zénon, médecin, alchimiste et philosophe, dans l’Europe du XVIe siècle. Marguerite Yourcenar précise, dans la Note de l’auteur que, dans les traités alchimiques, la formule donnée au titre désigne « la phase de séparation et de dissolution de la substance qui était, dit-on, la part la plus difficile du Grand Œuvre. On discute encore si cette expression s’appliquait à d’audacieuses expériences sur la matière elle-même ou s’entendait symboliquement des épreuves de l’esprit se libérant des routines et des préjugés. Sans doute a-t-elle signifié tour à tour ou à la fois l’un et l’autre. » En outre, elle précise, dans ses Entretiens radiophoniques avec P. de Rosbo, que « l’œuvre au noir, c’est la période de dissolution et de calcination de tous les concepts, tous les préjugés, toutes les notions sur lesquels nous avons accoutumé de vivre ».
L’Œuvre au Noir est, avec les Mémoires d’Hadrien, l’un des textes majeurs de Marguerite Yourcenar ; l’œuvre reçut le prix Femina à l’unanimité l’année de sa parution.
Avec un exceptionnel envoi de l’auteur au faux-titre : « à Pierre Sabatier, en hommage sympathique. Marguerite Yourcenar – vie et mort d’un homme libre. Montpellier, 1969 », précédé, au recto de la page de garde, de deux symboles légendés : « le feu et l’eau alchimiques ». L’auteur confond ici le symbole du feu avec celui de l’air , associant ainsi involontairement ou instinctivement ces trois éléments si liés.
Dans sa lettre à Simon Sautier, datée du 8 mars 1970, Marguerite Yourcenar écrit que « dans L’Œuvre au Noir, l’image de l’eau est certainement favorisée par la pensée toute élémentale des alchimistes, encore que l’élément auquel Zénon se raccorde soit avant tout le feu. » (Zénon, sombre Zénon, NRF, 2023, p. 614). L’évocation de l’eau, de l’air et du feu sont à rapprocher, d’une part, des spéculations alchimiques de Zénon dans la forêt d’Houthuist, en contemplation devant les hautes futaies : « il retrouvait dans chacune de ces pyramides végétales le hiéroglyphe hermétique des forces ascendantes, le signe de l’air, qui baigne et nourrit ces belles entités sylvestre, du feu, dont elles portent en soi la virtualité, et qui peut-être les détruira un jour » (pp. 39-40), et d’autre part, du passage de « L’abime » dans lequel Zénon a la vision interne du philosophe hermétique de l’eau et du feu (pp. 159-160).
Pierre Sabatier d’Espeyran (1892-1989), écrivain, compositeur, critique d’art et de théâtre, fut membre et mécène de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier dont il assuma la présidence en 1960 et 1969. Sa thèse de doctorat ès lettres sur L’Esthétique des Goncourt fut couronnée par le prix Marcellin-Guérin de l’Académie Française. Comme le décrit Jacques Balp dans l’hommage qu’il lui a consacré en 1991, « Pierre Sabatier d’Espeyran, cet être cultivé, brillant, apparemment jovial, a toujours été interrogé par le problème du mal et de la fugacité de la vie ». Il a donc certainement été fort sensible à L’Œuvre au Noir et à la dédicace qui l’accompagne, vraisemblablement rédigée lors d’une conférence sur l’ouvrage donnée par Jean-Louis Gourg à l’Université de Montpellier : « Ici [à Montpellier], écrit Marguerite Yourcenar, à une réunion d’une société de médecins à l’Université, un professeur a lu un “papier” sur Zénon, et ceci nous a permis de voir fonctionner les rouages de la Faculté et d’y faire connaissance de quelques personnes. » (Cf. Zénon, sombre Zénon, p. 362 note 2, 364 et 379).
Un minime et léger choc aux coupes supérieures.
Elégant exemplaire, bien relié avec un bel et intéressant envoi.
1 800 €